Les « cent jours » de Macron s’achèvent dans le flou
Selon notre sondage Odoxa-backbone, une large majorité de Français considère que le président n’a pas atteint les objectifs fixés il y a trois mois et qu’il doit s’exprimer rapidement.
François-xavier bourmaud @fxbourmaud · 14 Lug 2023
“Dans les périodes de confusion, les messages doivent être simples et clairs. Le seul message sur l’immigration doit être un message de fermeté et de maîtrise ” Un ministre important “J’ai dit que je ferai un point autour du 14 juillet, je vous rassure, je ferai un point autour du 14 juillet. Mais je ne vous en ai donné ni la date, ni la forme, et je les donnerai en temps voulu ” Emmanuel macron
Décrétés dans la foulée de l’adoption chaotique de la réforme des retraites, les « cent jours d’apaisement, d’unité, d’ambitions et d’actions au service de la France» arrivent à leur terme. Mais le climat, marqué par plusieurs jours d’émeutes à la suite de la mort de Nahel, 17 ans, tué à Nanterre par un policier, est encore plus délétère. Selon notre sondage Ododécrétés xa-backbone Consulting pour Le Figaro, 78% des personnes interrogées estiment que le président n’a pas atteint l’objectif fixé. C’est évidemment sur la justice et l’ordre qu’elles se montrent les plus sévères : 81 % d’entre elles pensent qu’il n’a pas du tout ou assez peu avancé dans ce domaine! Pis encore, les rumeurs de remaniement empoisonnent la vie du gouvernement, et le président ne s’exprimera pas le 14 juillet, date qu’il avait luimême fixée pour un point d’étape. Pas de quoi rassurer les Français.
Élysée Du haut du mont Saint-michel, mille ans d’histoire nous contemplent. Mais du haut du mont Saint-michel, en ce début juin, seuls « cent jours» comptent. Les cinquante derniers, et les cinquante à venir. Au mitan des trois mois que le président de la République s’est donné pour apaiser le pays après la réforme des retraites, le bilan s’affiche en demi-teinte.
Au prix d’un activisme forcené, le chef de l’état a étouffé le son des «casserolades ». Un tour de France des bonnes nouvelles avec des déplacements sur le terrain à tour de bras. Une longue séquence d’autosatisfaction sur la réindustrialisation du pays et son attractivité retrouvée. Et puis une offensive médiatique, façon «carpet bombing». En moins de six semaines, Emmanuel Macron enchaîne les entretiens, au Parisien, à Politico, à Challenges, à la presse quotidienne régionale, au Financial Times, à L’opinion, aux JT de 13 heures et de 20 heures, et même à Pif Gadget. Il est partout, tout le temps, pour parler de tout, n’importe quand. Et ça finit par marcher.
Lorsqu’il se déplace, les opposants à la réforme des retraites sont de moins en moins nombreux à se mobiliser pour lui pourrir sa journée. «Les choses sont plus calmes qu’elles ne l’ont été », observe-t-il alors au pied du mont Saint-michel. À l’assemblée nationale, les forces de la Nupes s’apprêtent à jouer leur dernière carte : soutenir la proposition de loi déposée par les indépendants de Liot pour abroger la réforme. Le point final d’un trimestre de manoeuvres dans l’hémicycle où la majorité et les oppositions se sont affrontées en mobilisant jusqu’aux articles les plus obscurs du règlement du Parlement ou de la Constitution. Comme certaines entreprises qui pratiquent l’optimisation fiscale, pas forcément morale mais légale, les députés se sont livrés à l’optimisation procédurale, pas forcément loyale mais légale elle aussi. À ce petit jeu, la majorité a gagné. L’irrecevabilité de la proposition de loi de Liot acte la victoire d’emmanuel Macron. Le président de la République peut désormais enclencher la deuxième phase de ses « cent jours » : la reprise en main de son second mandat. Au-delà du retour au calme postréforme des retraites, c’est en réalité surtout de cela qu’il s’agit.
Car après sa réélection en 2022, Emmanuel Macron a raté ses « cent jours », cette période durant laquelle le vainqueur de l’élection présidentielle connaît traditionnellement un «état de grâce » qui lui permet de lancer ses grands chantiers. Lui est passé à côté. Dans un livre publié un an après et intitulé Les sans jours (Éditions Bouquins), le journaliste Ludovic Vigogne raconte les atermoiements du président de la République à l’aube de son deuxième quinquennat. Cette première ministre de droite, Catherine Vautrin, qu’il veut nommer à Matignon avant de se voir imposer Élisabeth Borne par l’aile gauche de son camp. Ce gouvernement sans relief qu’il nomme sans réussir à donner le cap de son action. Et puis surtout cette campagne des élections législative qu’il laisse filer pour se retrouver avec une majorité relative à l’assemblée, source de tous ses maux.
Beaucoup de textes ont certes été adoptés au gré des alliances de circonstance, un jour avec la droite, le suivant avec la gauche. Mais dans un tel chaos parlementaire que le chef de l’état n’en retire aucun bénéfice politique. Pire, Emmanuel Macron semble ne plus rien contrôler. Il veut reprendre la main. C’est aussi ça, les «cent jours», une session de rattrapage, comme une manière de s’acheter du temps pour s’octroyer un nouveau départ. « Après la réforme des retraites, il est reparti en campagne », résume un cadre de la majorité.
Autour du président, on élabore déjà le récit. Avec la réforme des retraites, c’est en réalité le premier quinquennat qui s’achève. Maintenant qu’elle est adoptée, le second peut vraiment démarrer. « Le véritable objet des “cent jours”, c’est de retrouver de l’air, confie alors un proche du président. Et de l’air, c’est un nouveau dispositif politique. » En clair, un remaniement, et un gros. Avec changement de premier ministre. Après tout, Élisabeth Borne ne semble pas en mesure de remplir la mission que le chef de l’état lui a confiée en lançant ses « cent jours » : élargir la majorité, si possible avec un accord de coalition avec LR. Ça n’en prend pas le chemin.
«Les partis qui jouent leur survie politique vont provoquer de l’instabilité, explique un habitué de l’élysée. Si tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut stabiliser l’assemblée pour se mettre à l’abri d’une motion de censure, LR n’y a pas intérêt.» Et la majorité ne pourra donc pas s’élargir. Alors ? Garder Élisabeth Borne ou pas? Emmanuel Macron ne dévoile rien de ses intentions, mais il consulte tous azimuts, de François Bayrou à Édouard Philippe, en passant, comme toujours, par Nicolas Sarkozy.
« Comment tu sens les choses? », demande-t-il toujours en préambule. Parfois, ses questions se font plus allusives : «Tu verrais qui pour s’occuper de ce sujet ? » Le point de départ des rumeurs de remaniement. Au gré des confidences des interlocuteurs du président, la machine à rumeurs s’emballe. Des noms circulent, des postulants se rengorgent, des ministres s’affolent. Si bien que la première d’entre eux se lance dans une opération survie. Le ban et l’arrière-ban de ses soutiens se mobilisent. «Élisabeth Borne a réussi un mandat dans des conditions extrêmement difficiles, les plus dures depuis 1968, observe un cadre de la majorité. Il n’y a rien à lui reprocher. La question posée sur la composition du gouvernement et son maintien à Matignon n’est pas liée à ses compétences mais au contexte politique. »
Pour l’heure, la tension monte au fur et à mesure que l’échéance du remaniement se rapproche. Le chef de l’état l’a lui-même fixée autour du 14 juillet en lançant ses « cent jours ». La fête nationale, dernier moment où Emmanuel Macron peut espérer l’attention des Français avant que la période des vacances ne referme la bande passante pour un mois et demi. Pour une opération aussi complexe qu’un remaniement, la fenêtre de tir est étroite. Elle va se réduire à un trou de souris lorsque l’imprévisible va surgir.
Emmanuel Macron est à Marseille « en immersion sur le terrain » lorsqu’un jeune conducteur est tué par un tir policier, après un refus d’obtempérer en marge d’un contrôle routier à Nanterre. La vidéo est diffusée sur les réseaux sociaux. Les banlieues s’embrasent. Cinq nuits d’émeutes. Des commissariats et une prison attaqués au mortier, des élus agressés, des écoles, des mairies et des tribunaux incendiés, des pillages et des saccagés. La priorité passe au retour à l’ordre. L’opération « cent jours » s’effondre et avec elle, le « contexte politique ».
«Avec les émeutes, il va falloir se reposer la question de l’autorité, confie un ministre. Élisabeth Borne incarne la rigueur, mais pas l’autorité. Il faut la changer, d’autant que les LR sont remontés. Ils ne feront aucun cadeau au président. » La demande d’ordre qui émane de la société est trop forte. L’impact des émeutes, plus violentes qu’en 2005, est un poison lent qui peut produire des effets à long terme, aussi sûrement que l’épidémie de Covid et les confinements ont contribué à changer l’état d’esprit des Français vis-à-vis du travail.
Dans les périodes de confusion, les messages doivent être simples et clairs, fait valoir un ministre important au chef de l’état. Le seul message sur l’immigration doit être un message de fermeté et de maîtrise.» Emmanuel Macron veut prendre le temps de comprendre. Sans pour autant renoncer à ses «cent jours ». On a perdu presque une semaine sur le calendrier avec les émeutes, mais on peut très bien faire les “cent six
jours” , assure alors un proche du président. D’ailleurs, dès que le calme revient dans le pays, les rumeurs de remaniement recommencent à circuler. Colorées, cette fois, par les enseignements des émeutes. Ce qui fait l’unité de la nation, c’est l’autorité de l’état. Ça doit être ça, le fil conducteur des quatre prochaines années , tranche un ministre de poids. La cote du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, remonte en flèche, jusqu’à Matignon. Même si la droite et le RN lui tombent dessus pour avoir nié l’existence d’un lien entre l’immigration et les émeutes, le locataire de Beauvau tire son épingle du jeu. Tout comme Éric Dupond-moretti. Son tour de vis sur les tribunaux pour qu’ils sanctionnent les délinquants le renforce à la Justice, alors qu’il y était menacé. À l’inverse, les chances de maintien de
Pap Ndiaye à l’éducation s’effondrent, tant il n’incarne pas le retour de l’autorité à l’école, rendu indispensable par la jeunesse des émeutiers. Les scénarios commencent alors à tourner dans tous les sens. Certains évoquent même une dissolution pour mettre la droite et la gauche face à leurs responsabilités. Il y a une dernière hypothèse qu’il ne faut pas exclure, c’est que le président ne change rien , glisse un ministre. Car le calendrier se resserre et le scenario des « cent jours », même étendu à « cent six jours », semble désormais intenable. Mais est-ce vraiment si grave ?
«Personne n’en voudra à Emmanuel Macron s’il lâche les “cent jours”, assure un ministre. C’était une invention pour savoir s’il allait finalement lâcher Élisabeth Borne ou pas. Là, la première ministre est fragilisée. La garder sans changer de gouvernement, c’est la remettre en sursis à la rentrée. » Une invention aussi pour tourner la page de la réforme des retraites.
« C’était une parenthèse durant laquelle il fallait éviter l’écueil de l’immobilisme et la tentation de lever le pied pour calmer le jeu, explique un proche du président. Il fallait aussi montrer que le pays ne se résumait pas au bruit à la fureur des députés Insoumis. » Lorsqu’il se retourne sur les «cent jours», ce ministre se souvient surtout d’une séquence : «Nous avons braqué les feux sur le travail de titan effectué depuis plus d’un an sur l’attractivité. Les Français ont vu que nous étions désormais une nation désirée, recherchée.» Pour le reste, pas grand monde au sein du gouvernement, ni dans la majorité, ne semble avoir vraiment compris où le président comptait en venir avec cette histoire de «cent jours». Il suffit de poser la question. C’était quoi cette séquence ?
Un poids lourd du gouvernement laisse passer un long silence avant d’improviser une réponse sur la détermination du président. Même moment de flottement avec une figure de la majorité Renaissance à l’assemblée qui finit par éclater de rire. Le président luimême cherche d’ailleurs le bon moyen d’atterrir après ces trois mois. «J’ai dit que je ferai un point autour du 14 juillet, je vous rassure, je ferai un point autour du 14 juillet. Mais je ne vous en ai donné ni la date, ni la forme, et je les donnerai en temps voulu », s’agace-t-il depuis le sommet de l’otan. Il n’apprécie pas beaucoup les figures imposées, à commencer par la traditionnelle interview télévisée du 14 Juillet. Le bilan des «cent jours» attendra encore un peu. Après tout, ce n’était qu’un truc bricolé sur un coin de table en attendant que la contestation de la réforme des retraites se tasse. Parce que ça finit toujours par se tasser. Pour ce ministre, les «cent jours» se résument ainsi : « Politiquement, la réforme des retraites a été adoptée. » Et rien d’autre. Sinon, pour Emmanuel Macron, le retour à la case « nouveau départ ».