Par DIVAN SHIRAZI Envoyé spécial à Téhéran et SONIA DELESALLE-STOLPER Suite page 4 · 12
Ago 2023
A quelques semaines du premier anniversaire de la mort de Mahsa Amini, qui avait entraîné des manifestations massives dans le pays, la police iranienne de la moralité refait surface dans les rues de Téhéran, traquant les femmes qui défient l’obligation de se couvrir la tête d’un hijab. Sans venir à bout de leur détermination.
«En un an seulement, ils ont tué des centaines d’entre nous, en ont arrêté des milliers. La vie de millions de personnes a été bouleversée. Mais c’est nous qui sommes leur cauchemar, nous, dont l’existence même les terrifie. Nous les défions chaque jour en sortant sans nos hijabs, en montrant ainsi qu’ils ne peuvent pas nous contrôler.» Elnaz (1) est déterminée, elle ne cédera pas. «Même s’ils nous affrontent dans les rues avec des fusils et des chars, nous ne reviendrons pas à la situation antérieure. Nous n’avons pas d’autre choix que de nous battre.» Comme des milliers d’Iraniennes, la brune jeune femme de 36 ans ne veut plus porter le foulard obligatoire. Rien ne la fera changer d’avis, et certainement pas la résurgence récente de la police des moeurs (gasht-e ershad, littéralement patrouilles de l’orientation islamique) dans les rues d’Iran.
Ces contrôleurs de la modestie vestimentaire des femmes n’avaient jamais vraiment disparu, même si des rumeurs avaient évoqué en décembre 2022 l’abolition de cette police des moeurs qui existe, d’une manière ou d’une autre, depuis la révolution islamique de 1979. En fait, ces empêcheurs de s’habiller comme bon vous semble avaient juste suspendu leurs activités. Seuls quelques policiers en civil mettaient en garde les femmes dévoilées dans la rue, les menaçaient d’amendes. Mais depuis mi-juillet, les agents sont réapparus dans les rues de Téhéran, distillant un parfum de menace. Les membres de ces patrouilles –les hommes en uniforme, les femmes en tchador noir – arpentent les rues à bord de camionnettes vertes et blanches reconnaissables entre toutes, dans lesquelles ils embarquent les femmes dont ils jugent la tenue contraire à la loi islamique.
«EN DÉPIT DE LA PEUR»
Il y a quelques mois, début janvier, Elnaz participait à une manifestation, sans voile, quand elle a été arrêtée et incarcérée pour une semaine. A sa sortie de prison, elle a perdu son emploi dans un atelier d’artisanat. «Ces derniers mois, beaucoup ont essayé de présenter le gouvernement iranien comme réformé et en retrait, ne se préoccupant plus de celles qui défient la loi sur le hijab. C’est un mensonge. Le seul changement est que les femmes et les jeunes filles sont plus courageuses que jamais et qu’elles affichent ouvertement leur courage en enfreignant la loi sur le foulard, s’indigne-t-elle, assise devant un thé dans son salon. Non seulement le gouvernement n’a pas changé, mais il est devenu encore plus agressif. C’est précisément le moment où nous ne devons pas reculer. Nous resterons debout et nous ne resterons pas silencieux face à cette injustice.»
Pour la jeune femme, il n’y a aucun doute : la réapparition de la police des moeurs est un signe de l’inquiétude des autorités à l’approche du premier anniversaire de la mort tragique de Mahsa Amini, 22 ans, alors qu’elle était détenue par les membres de cette force de l’ordre. Le 13 septembre 2022, Mahsa, originaire de la province kurde de Saqqez, avait été arrêtée dans Téhéran par la police des moeurs pour un foulard mal ajusté sur sa chevelure.
Emmenée dans un centre de «rééducation», elle avait été sévèrement battue avant de mourir de ses blessures trois jours plus tard, le 16 septembre. Les images de son visage tuméfié, alors qu’elle agonisait sur un lit d’hôpital, avaient bouleversé l’opinion publique iranienne et internationale. Le décès de la jeune fille a entraîné une immense vague de protestations dans tout le pays, les manifestantes retirant leur hijab, multipliant les actions symboliques comme celle de se couper les cheveux devant une caméra. La réponse des autorités iraniennes, comme à chaque montée de tensions, avait été violente. Plus de 500 manifestants ont été tués et près de 20 000 personnes arrêtées. Au milieu de cette agitation qui a duré des mois, la police de la moralité avait