Dal quotidiano “LE FIGARO”: L’europe impose aux réseaux sociaux une régulation unique au monde

Kyiv, Ukraine - September 5, 2019: A paper cubes collection with printed logos of world-famous social networks and online messengers, such as Facebook, Instagram, YouTube, Telegram and others.


Bruxelles va désormais devoir faire respecter ce texte visant à lutter contre les contenus illicites et les effets néfas tes de ces services.

chloé woitier @W_chloe · 24 Ago 2023

Ce texte pionnier fera probablement jurisprudence au-delà des frontières européennes» roch-olivier maistre, président de l’arcom Nous utiliserons nos nouveaux pouvoirs pour enquêter sur les plateformes et les » sanctionner thierry breton, commissaire européen au marché intérieur
numérique C’est une petite révolution pour Facebook et Instagram. Dans les prochains jours, leurs utilisateurs européens pourront choisir de désactiver l’affichage des « publications qui devraient vous plaire », ces contenus poussés sur leurs fils par ces services qui tentent, sans cesse, de deviner leurs goûts. Fini donc les vidéos courtes provenant de créateurs qu’ils ne connaissent pas. « Désormais, les utilisateurs auront la possibilité de ne voir que les stories et les reels provenant des personnes qu’ils suivent, classés par ordre chronologique, de la publication la plus récente à la plus ancienne », écrit Nick Clegg, directeur des affaires publiques du groupe Meta. Tiktok prépare aussi son big bang. Sous peu, les internautes européens pourront décider de transformer leur fil « Pour toi ». Au lieu d’y voir un flux hautement addictif de contenus ultra-personnalisés, ils y verront les vidéos les plus populaires de la plateforme.
Ce n’est pas par altruisme que Meta et Tiktok chamboulent le coeur de leurs applications stars. Ils y sont contraints par une réglementation unique au monde votée en juillet 2022 par l’union européenne : le Digital Services
Act (DSA), qui entre en application le 25 août pour 19 très grandes plateformes fréquentées par plus de 45 millions d’européens. Soit Google, Amazon, Facebook, Tiktok, Twitter, Snapchat, Youtube… « Ces plateformes ont eu suffisamment de temps pour s’adapter à leurs nouvelles obligations : transparence, retrait des contenus illégaux, protection des utilisateurs vulnérables, etc. », affirme Thierry Breton, commissaire au Marché intérieur. « L’échelle européenne est la bonne pour réguler ces acteurs, souligne le président de l’arcom (EX-CSA), Roch-olivier Maistre. Il faut saluer le travail de la Commission sur ce texte pionnier qui va probablement faire jurisprudence au-delà des frontières de l’union. »
L’objectif originel du DSA est de protéger les internautes des contenus qui sont considérés comme illégaux dans le monde physique. Il s’agit aussi bien de propos postés sur les réseaux sociaux que de produits contrefaits ou dangereux vendus sur les sites d’e-commerce. Pour y parvenir, le texte impose des obligations de moyens aux plateformes, qui devront par exemple recruter davantage de modérateurs, et seront obligées de coopérer avec les autorités. Les émeutes de cet été en ont donné un avantgoût. « Le gouvernement a interpellé les réseaux sociaux et ces derniers ont parfaitement joué le jeu en répondant aux injonctions judiciaires », qui ont mené à l’identification et à la condamnation de personnes incitant sur Snapchat ou Tiktok à participer aux violences urbaines, rappelle Roch-olivier Maistre.
Le texte englobe d’autres dangers. Bulles de filtres, dégradation de la santé mentale des jeunes, désinformation et propagande, violence généralisée des échanges en ligne… La liste des effets nocifs des réseaux sociaux est longue, et un mécanisme est au coeur des critiques : la recommandation personnalisée des contenus, créée pour prolonger le temps passé sur ces services. C’est pourquoi une autre obligation va frapper les 19 grandes plateformes. Dès le 25 août, elles vont devoir rendre à la Commission de copieux rapports sur les risques dits systémiques que posent leurs systèmes de recommandations et ce qu’elles font pour les limiter. Ces documents seront analysés par des cabinets d’audit indépendants. « Ils ne devront pas avoir exercé de missions de conseil et d’accompagnement pour la plateforme dans l’année précédant l’audit, ni dans celle qui la suivra », précise un porteparole de la Commission.
Une nouvelle partie commence désormais pour Bruxelles : s’assurer que sa loi est suivie d’effets. Les regards sont tournés vers Twitter, rebaptisé X par son propriétaire, Elon Musk, chantre d’une liberté d’expression absolue. Respectera-t-il le DSA ? Et si non, l’europe saura-telle sévir ? « L’épreuve de vérité arrivera vite. C’est toute la crédibilité de ce texte qui est en jeu », note Rocholivier Maistre. Les entreprises réfractaires risquent une amende représentant 6 % de leur chiffre d’affaires annuel, et même leur suspension en Europe en cas d’infractions répétées. « Nous utiliserons pleinement nos nouveaux pouvoirs pour enquêter sur les plateformes et les sanctionner dès que cela sera nécessaire », affirme Thierry Breton.
En 2024, 124 salariés de la Commission travailleront à temps plein sur le sujet, auxquels s’ajoutent 30 chercheurs au sein du nouveau Centre de transparence des algorithmes. Ils seront épaulés par des régulateurs désignés par les 27 pays de l’union, qui superviseront en prime des services numériques de plus petite taille. En France, la Cnil et la répression des fraudes (DGCCRF), coordonnées par l’arcom, seront chargées de cette mission.
Audits à blanc
À ce jour, seuls Zalando et Amazon ont contesté en justice leur statut de très grandes plateformes. Les autres se sont mises au pas. Chez Meta, pas moins de 1000 salariés travaillent depuis des mois à la mise en conformité des applications du groupe au DSA. « Les entreprises américaines sont légalistes. Elles ferraillent beaucoup en amont, mais une fois qu’une loi est adoptée, elles s’exécutent », estime le président de l’arcom. « Se conformer au DSA n’est pas une punition, c’est une opportunité de renforcer la valeur de leur marque et leur réputation en tant que site digne de confiance », ajoute Thierry Breton.
Le dialogue entre Commission et grandes plateformes a débuté dès 2022. Bruxelles a même proposé des « stress tests », soit « des simulations pour observer comment une plateforme détecte, répond et réduit des risques systémiques tels que la désinformation, au quotidien comme dans une situation de crise », indique un porte-parole. C’est ainsi que Thierry Breton et ses services se sont envolés cet été à San Francisco et à Dublin pour mener ces audits à blanc chez Meta, Twitter, Tiktok et Snapchat. Le groupe de Mark Zuckerberg s’en est tiré avec les
honneurs, tandis que des efforts ont été demandés aux autres.
Une autre institution va jouer un rôle clé dans l’efficacité du DSA : la sphère académique. Le texte oblige les réseaux sociaux à ouvrir l’accès à leurs données publiques aux chercheurs. Un foisonnement d’études est donc à prévoir sur l’impact de ces services sur, par exemple, les mouvements contestataires, les opinions politiques, le harcèlement… De même, la société civile sera présente avec le rôle renforcé des « signaleurs de confiance », des associations qui seront désignées en février et qui feront remonter aux plateformes les contenus à retirer au plus vite (cyberharcèlement, appel à la violence, etc.). « Si leurs signalements ne sont pas suivis d’effets, ce sera un indice de dysfonctionnement de l’entreprise », souligne Roch-olivier Maistre. De quoi, pour Bruxelles, lancer une enquête approfondie.